Les nuages passent
L’arbre reste
L’éveil coule entre, n’appartient ni à l’un ni à l’autre
– Haïku dédicacé à Contemplant les Nuages, 2024. 08. © Dali Wu
Contemplant les Nuages (2021-2023), une expérimentation artistique multidimensionnelle, conçue par Dali Wu en collaboration avec Christophe Cinq, a été présenté en deux versions : une première à la Chaufferie du 1 au 3 mars 2022, issue d’une résidence à Hexagram-UQAM, et une seconde à la Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce (site Monkland) du 13 janvier au 19 février 2023.

Contemplant les Nuages (première version), la Chaufferie du Coeur des Sciences - UQAM, 2022. © Dali Wu

Contemplant les Nuages se présente comme une étude des cas explorant l’interconnexion entre l’artiste et le Soi. Ce projet mêle expérience onirique, symbolisme spirituel et expression émotionnelle. Il témoigne des variations atmosphériques tout en s’inscrivant dans un contexte sociétal. À travers l’usage de médias interactifs, il interroge la fluidité de l’existence et intègre des enjeux contemporains, tels que la pandémie et les transformations technologiques.

Exposition de résidence, Hexagram-UQAM, à la Chaufferie du Coeur des Sciences -UQAM, 2022. © Dali Wu.

Vue de l’exposition à la Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce, 2023. © Dali Wu.

Mur de nuages de Contemplant les Nuages, exposition 2023. © Dali Wu.

Dans Contemplant les Nuages, le nuage devient une métaphore de l’impermanence, de la transformation perpétuelle du monde et de la vacuité des formes. Insaisissable, fluide et éphémère, il ouvre un champ infini de potentialités.

Documentaire de l’installation Contemplant les Nuages (2023), 3 min 49 s. © Dali Wu.

L’idée du projet trouve son origine en 2020, lors du confinement imposé par la pandémie. Un jour, allongée sur son canapé, Dali a vécu une expérience onirique :
Je me suis retrouvée transportée dans un lieu évoquant une montagne sacrée, avec l’intention de photographier une célèbre tête de Bouddha souriant, de couleur blanche. La montagne sacrée reliait diverses pentes, où un va-et-vient incessant de pratiquants de différentes écoles spirituelles animait les lieux. L’ensemble de la scène était empreint d’une aura de douceur et de sainteté. Le ciel, une étendue blanche sans éclat éblouissant, ajoutait à la sérénité ambiante, dissipant toute pensée parasite, sans la pression oppressante ni la hiérarchie rigide souvent associées aux environnements religieux traditionnels.
Sur les pentes s’élevaient des arbres aux racines imposantes, qui s’étendaient jusqu’à occuper l’intégralité du sommet. À la base de chaque grand arbre se trouvait une tête de Bouddha souriant, chacune avec un style distinct, donnant l’impression que l’arbre prenait racine au sommet de leur tête. Ces représentations bouddhiques, d’une élégance fluide et d’une plénitude remarquable, reflétaient une création empreinte d’émotion et sublimée, loin des productions standardisées issues de la fabrication industrielle.
Après avoir localisé le fameux Bouddha souriant blanc, j’ai remarqué, à sa gauche, une autre statue : un Bouddha noir avec un sourire serein, dont les yeux semblaient me fixer directement. Le Bouddha blanc, lui, était de profil, ses yeux en forme de croissant de lune rendant son expression indéchiffrable. Devant lui, un bouton de lotus sur le point d’éclore. De ma perspective, seuls le tronc massif émergeant de la tête du Bouddha et les racines s’étendant le long de la pente étaient visibles.
Malgré mes tentatives répétées, je ne parvenais pas à capturer cette scène comme je l’avais imaginée, comme si la majesté du lieu échappait à toute représentation fidèle.
Ce rêve symbolise, à ses yeux, les dichotomies sur le chemin de l’individuation : le non-être et l’être, ou le transcendant et le terrestre. Cette dichotomie fait écho au concept jungien du Soi, décrit comme à la fois vide et plein, envisageant la psyché de l’individu comme un tout (Jung, 1983/1951).
Nous percevons souvent le monde à travers des oppositions : bien et mal, beau et laid, sacré et profane. Or, tout comme les nuages en perpétuelle transformation, ces frontières sont fluides. Prendre conscience de cette non-dualité l’a inspirée à partager cette expérience sous forme artistique, comme un don, afin d’explorer avec autrui une liberté essentielle : reconnaître que chaque être est déjà éveillé — en sanskrit, Bouddha — en soi, et que son chemin d’individuation, loin d’être figé, est une manifestation mouvante de cet éveil même.
Dali Wu documente les formations nuageuses, 16 juin 2021. © Keyun Li.
Du 25 avril 2021 au 26 avril 2022, encore sous confinement, Dali a documenté quotidiennement les formations nuageuses visibles depuis le toit-terrasse de son domicile. Contrairement aux Date Paintings (1966-2014) d’On Kawara, dont l’esthétique mécanique peut sembler oppressante, ses observations introspectives, réalisées principalement entre 18 h et 21 h, ont été consignées à l’aide de divers médiums : pastels secs, acrylique, collages, journaux et autres matériaux du quotidien.
Privilégiant des médiums tangibles pour affirmer sa subjectivité, Dali capture à la fois la versatilité des formations nuageuses et ses propres fluctuations émotionnelles. Ainsi, ces dessins deviennent une subtile chorégraphie entre les mondes intérieur et extérieur.

Vue rapprochée du mur de dessins des nuages chronologique, exposition 2023. © Dali Wu.

L’archive évolutive des dessins de nuages (N°1 à 106), © Dali Wu. 
Cliquez sur les images pour les agrandir.

Résidence Hexagram, En préparation pour l’exposition à la Chaufferie, 2022. © Weiwei Wang.

Lors de son exposition à la Chaufferie, d’abord hésitante à présenter son travail, Dali a découvert de grands cadres en bois semi-transparents, abandonnés parmi des déchets. Inspirée par leur présence, elle a conçu un dispositif interactif sous forme de paravent, réinterprétant ainsi ces matériaux délaissés. 
Par la suite, elle a conçu un second paravent-écran en forme de polyptyque, cette fois en plexiglas transparent, destiné à accueillir des projections numériques interactives. Dans cette surface translucides, elle apercevait souvent son reflet flou — une image éthérée qui l’a vivement interpellée. Elle y percevait une proximité paradoxale et une distance simultanée entre les individus, dans l’omniprésence des panneaux de plexiglas dans l’espace public durant la pandémie.

Dessin technique de « Contemplant les Nuages II », le paravent-écran pliable en plexiglas, avec dimensions, spécifications et échelle humaine, 2022. © Dali Wu.

L’installation numérique intéractive fonctionne comme suit : en l’absence du public, le paravent-écran transparent reste vierge. Lorsqu’une présence est détectée par la caméra de surveillance, des nuages animés émergent, intégrant une superposition des silhouettes du public, sous forme d’images rémanentes en perpétuelle transformation. Ces formes évoluent en « nuages électroniques » aux couleurs psychédéliques, fusionnant des captures thermiques et des superpositions visuelles en boucle infinie. 
Si la personne demeure immobile, les nuages se dissipent, révélant une animation 3D générée par un système de particules, où un arbre révélateur se forme progressivement jusqu’à emplir le paravent de blanc. 

Capture d’écran de l’animation 2D de l’arbre révélateur (première version), 2022, © Dali Wu.

Capture d’écran de l’animation 3D de l’arbre révélateur (seconde version), 2023, © Dali Wu.

Le public se positionne entre le grand paravent en bois et le paravent-écran transparent, déclenchant une interaction avec les projections lumineuses, exposition 2023. © Keyun Li.

Parallèlement, sur le grand paravent en bois, Dali enregistrait ses impressions subjectives lors des interactions avec le public. Ces paysages émotionnels nuageux, abstractions fluides des silhouettes des visiteur·rice·s et de ses réactions émotionnelles à leur présence, prennent la forme de vastes plages de couleur, évoquant la métamorphose des nuages dans le monde physique. 

 « Paysages émotionnels nuageux » (2022). Technique mixte sur le grand paravent, 610 x 244 x 10 cm. © Dali Wu.

L’environnement sonore, conçu par Christophe Cinq, entrelace chants de moines, cloches tibétaines et bourdonnements ambiants. Lorsque l’arbre révélateur apparaît, des percussions du gamelan résonnent, immergeant le public dans une atmosphère méditative. En plus de cette contribution sonore, Christophe a également programmé le dispositif interactif numérique sous TouchDesigner, un élément clé permettant la synchronisation entre les mouvements du public et l’évolution des projections.

Christophe Cinq testant les projections interactives programmées sur le paravent-écran transparent.
Résidence Hexagram, exposition à la Chaufferie, 2022. © Dali Wu.

Contemplant les Nuages a suscité de nombreuses interactions avec le public, notamment lors de l’exposition à la Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce. Le public a la liberté de rester immobile devant le paravent pour déclencher l’animation de l’arbre, ou de s’éloigner pour observer les dessins de nuages. Ce mécanisme de libre choix souligne que chaque instant de la vie recèle de nouveaux potentiels.
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